Assis sur la crête des siècles, Phot’Om dit : je suis la mémoire du livre. Du livre en équilibre entre les temps, du livre en équilibre entre les lieux, du livre en équilibre entre les langues. Du livre des petits et des grands équilibres. De l’ombre et de la lumière, du froid et du chaud, du terne et du lumineux, du lisse et du texturé, du dedans et du dehors, de la présence et de l’absence. Phot’Om contemple, un pied dans le vide du 20e, l’autre dans le vide du 21e. Tout petit dans le paysage. Une trace. Un point. Un rien. Grand angle. De ce double vide, Phot’Om scrute les plaies, les plaines, les peines, les pleins, les pleins et les déliés. Phot’Om tire de sa manche un drap blanc, déploie la nappe de part et d’autre pour un banquet de mots. Nappe non encore écrite. Moteur blanc s’imbibant de la montagne des siècles, saisissant les sources souterraines, les potentiels. Phot’Om reste un temps, pour l’imprégnation. Il, en équilibre. La nappe s’humidifie de traits s’ébauchant au travers, Phot’Om la retourne délicatement, y lit les lignes qui n’ont pas été dites, les lignes projetées, les lignes d’entre les lignes, les lignes des lignées secrètes.
Obscurités à l’ubac, clartés à l’adret, Phot’Om attend, laisse venir. Tend. Détend. En attendant que le monde reprenne son vieux privilège de joie, Phot’Om prend le temps. Le temps des temps feuilletés, des temps retours et détours. Le temps du présent épais. Se laisse glisser au fond du dièdre. À la pliure des deux pans, à la rainure du livre ouvert. Se fond dans le couloir de vie. Bascule. Phot’Om contemple les nuages, les solives du ciel sans avions. Un lieu où ça devient. Phot’Om remonte, se rassoit, met l’image au monde. Il goûte l’image-met, pèse l’image-oui-mais. L’image palpite de toute l’animation de questions dont ce va-et-vient l’a chargée. Son équilibre modulé ne souffre aucune approximation. Et cependant préserve la dose d’impondérable nécessaire à sa succulence. Là où le livre trouve son poids, se fait contrepoids. Là où il se mue en balance à deux plateaux, non, à mille et un plateaux. Là où un livre est une livre, bien plus d’une livre, raccordée à l’intensité de la mesure intérieure. Phot’Om, enfant perché sur le faîte d’une cathédrale, monté sans qu’on l’y autorise, refuse de se laisser intimider. Il tient sous le regard. Phot’Om voit ce qui nous regarde, l’incalculable frottement du fini et de l’infini, après quoi les mots courent - et qui, pourtant, parfois, aussi, s’y livrent. Libres.
Lia KURTS